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2 juillet 2023 7 02 /07 /juillet /2023 16:42

Discours

devant le monument Pierre Loti,

Rochefort, 10 juin 2023

 

Alain Quella-Villéger

 

Merci de m’offrir ce moment de parole, en ce jour et en ce lieu si symboliques.

Derrière moi veille, bienveillante, la statue de l’écrivain inaugurée le 25 juin 1950 lors du précédent centenaire : celui de sa naissance. Pierre Loti a été ici représenté par le statuaire Vinet en officier de Marine, mais nous célébrons plutôt l’écrivain, le grand voyageur, l’homme, l’esthète qui n’en fut pas moins un fort estimable homme de mer et, ce matin, très particulièrement nous venons saluer le Rochefortais.

Auprès de ses concitoyens, Loti a beaucoup suscité l’étonnement, l’agacement, l’incompréhension, la polémique parfois. Le marin, pour sa part, a été victime des jugements sévères ou jaloux de sa hiérarchie. L’écrivain fut souvent réduit à un régionalisme étriqué ou à un exotisme d’opérette, alors que son œuvre soutient la force de l’enracinement en même temps que la richesse de l’ouverture aux cultures différentes.

Loti fut pleinement solidaire de son temps, pour le meilleur et parfois pour le plus détestable. On lui a légitimement reproché d’avoir cédé à des propos peu amènes envers telle ou telle population et, pour défendre les Turcs ou la France de 14-18, de s’être laissé aller à des jugements outranciers. Certes. Pierre Loti ne fut pas un saint et c’est aussi pourquoi il nous interroge encore !

 S’il n’est pas « moderne » (mais que veut dire ce mot ?), il est notre contemporain avec ses faiblesses, ses forces, ses grandeurs. Ses inquiétudes sont souvent les nôtres. Il pourfend le tourisme de masse, la spéculation immobilière, se montre soucieux du patrimoine naturel à préserver, n’aime pas la chasse et surtout pas la guerre. Il fait preuve d’empathie sociale, aussi : il se préoccupe aussi bien des veuves de pêcheurs paimpolais que du sort des ouvriers dans les usines – ne défend-il avec acharnement l’arsenal à Rochefort ? – sans oublier son plaidoyer des Désenchantées en faveur des femmes musulmanes.

Et puis, nous reste ce personnage qui se donne une vie de roman à la Corto Maltese, ce qui n’est pas sans résonner avec les multiplications d’identités d’un Fernando Pessoa, l’écrivain portugais qui écrivit :

 

« Nous avons tous deux vies :

La vraie, qui est celle que nous avons rêvée dans notre enfance ;

Et celle que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard ;

La fausse, qui est celle que nous vivons dans le commerce des autres,

Celle qui est pratique et utile,

Celle où nous finissons dans un cercueil. »[1]

 

Entre la vraie et la fausse, celle de Loti n’a pas manqué de scénarios parallèles et alternatifs, d’itinéraires buissonniers, de rémanentes nostalgies, de rêves toujours exacerbés, d’audaces aussi. Et sa vie ne finit pas dans un cercueil : Julien Viaud est mort, certes, mais point Pierre Loti ! Pierre Loti, « ce phénomène », s’exclamait Ernest Renan !…

 

Pour clore ce petit hommage, peut-être devrais-je tout simplement détourner le refrain d’une chanson de variété en affirmant :

On a tous quelque chose en nous… de Pierre Loti !

 

 

Inauguration Maison de Marie Bon,

1er juillet 2023

 

Alain Quella-Villéger

 

2023 commémore le centenaire de la mort de Pierre Loti et il me plaît de noter que Saint-Porchaire, y participant à sa façon, ajoute aujourd’hui son nom à Rochefort, Paimpol, Hendaye, Paris ou Istanbul – beau compagnonnage

À sa façon, je ne veux surtout pas dire modeste car le lieu de mémoire que nous inaugurons aujourd’hui n’est en rien inférieur à tel colloque parisien ambitieux ou exposition prestigieuse puisqu’il s’inscrit, lui, dans la durée. Premier grand mérite ! À sa façon, je veux dire surtout qu’en évoquant une séquence déterminante de la vie adolescente du futur Pierre Loti, nous ressuscitons en quelque sorte, ici, une femme. Immense mérite ! De 1865 à 1878, Marie Viaud résida en effet à Saint-Porchaire avec son mari percepteur, Armand Bon.

Si, dans le cadre de ce centenaire, j’ai eu à cœur de publier une biographie de Gustave Viaud, le grand frère disparu en mer quand Loti avait quinze ans, je n’ai pas eu moins à cœur de participer, avec la rigoureuse et chaleureuse complicité de Véronique Bergonzoni et d’Isabelle Fourcade, à la volonté municipale de faire revivre cette maison. Pas seulement pour Pierre Loti, mais pour une peintre attachante !

Si Gustave demeura le grand absent pour Loti, Marie à bien des égards fut une grande oubliée. L’écrivain avait pourtant montré le chemin, tant le salon rouge de sa maison de Rochefort offrit en quelque sorte à sa sœur sa première exposition permanente. Il nous faut donc revisiter pleinement le parcours de Marie à la fois comme sœur (et seconde mère de Loti, âgée de vingt ans de plus que lui), épouse, mère, femme de caractère, de foi et de conviction, mais il importe plus que jamais de rendre justice à une artiste qui, comme tant d’autres, n’eut guère le bonheur de pouvoir laisser s’épanouir tout son talent. Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est elle qui le confesse à Julien en 1867. Si elle clame d’abord : « Je suis heureuse à mon chevalet et je n’en bouge que lorsque je ne puis faire autrement. » Bientôt, malheureusement, elle déchante : « Hélas, en fait d’art, je resterai ce que je suis, ce que je suis restée […]. Il me faudrait aller à Paris, voir, regarder, surprendre, étudier, et je ne peux rien de tout cela… » C’est en quelque sorte ce « rien » que nous sommes appelés à remplir et réévaluer ensemble.

Je terminerai d’ailleurs sur le nom que Loti donne à Saint-Porchaire dans ses deux premiers romans, Aziyadé et Le Mariage de Loti, et qui contient peut-être une injonction : Brightbury, censé être un village de la campagne anglaise dans le Yorkshire au pays des sœurs Brontë (qui eurent d’ailleurs un frère peintre ; est-ce une clef ?). Rien certes à Saint-Porchaire des Hauts de Hurlevent, mais mieux : il n’existe pas de Brightbury dans le Yorkshire ! Traduisons ce toponyme inventé par Loti (ou par sa sœur, qui parlait mieux l’anglais que lui ?). Bury : enterrer ; enfouir, ensevelir ; bright : ce qui est brillant, lumineux, intelligent, heureux : curieux face à face, ou combat, de la lumière contre la mort et contre l’anéantissement. Retenons donc la première syllabe et apportons à Marie Viaud l’éclairage qui la remet en lumière…

 

 

 

 

 

 

[1] Fernando Pessoa (Alvaro de Campos) : « Dactylographie”.

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31 mars 2023 5 31 /03 /mars /2023 07:09

  

Actualités 2024

 

                 Parutions

« Pierre Loti en habit de muscles », L’Actualité Nouvelle-Aquitaine, n°137, hiver-printemps 2024 [janvier].

« Quai de la Rapée, 11 février 1942, 16 heures… » [sur France Bloch-Sérazin], in Merci la Résistance !, direction Patrick Amand, Éditions du Caïman, coll. ‘‘Noires nouvelles’’, mars 2024.

« Les lointains jamais atteints de P. Loti. D’Angora à Kaboul, de l’Islande à La Mecque via Moscou », Histoires littéraires, avril 2024.

Rencontres et conférences

10 mars, France Inter, « Autant en emporte l’histoire », avec Stéphanie Duncan, 20h : émission consacrée à René Caillié.

13-14 avril, Le Château d’Oléron : Invité au salon « Cita’livres » et lauréat du Prix Citalivres 2024. Conférence sur "Gustave Viaud, frère de P. Loti" dimanche 14.

5 mai, Romegoux (17, Festival des Musiques au pays de P. Loti), 14h30 : conférence "Marie Bon, femme et peintre dans la 2é moitié du XIXe s."

7 mai,  Rochefort, Musée Hèbre : conférence "Quand Pierre Loti découvrait l'Amérique"

28 mai, Poitiers, lycée Victor-Hugo : conférence sur la résistante France Bloch-Sérazin

8 juin, Rochefort, "Week-end à Loti", 14h : rencontre publique.

28 juillet, Mortagne-sur-Gironde (17): Le Carrelet présent au salon "Lire en estuaire, l'estuaire se livre"

2-4 août, Le Bois-en-Ré : présent au salon "L'île aux livres".

15-18 août, Angles sur l'Anglin (86): Le Carrelet présent au salon du livre

2 octobre, Saint-Martin-de-Ré, Musée Cognacq : conférence sur les fêtes chez Loti

11-13 octobre, Rendez-vous de l'histoire à Blois : conférence au château du Guérinet 

16 novembre, La Rochelle, Accueil des villes françaises: conférence "Lire Loti: modernité et complexité d'une vie et d'une oeuvre".

 

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29 mars 2023 3 29 /03 /mars /2023 05:54

Pierre Loti,

écrivain et voyageur

Paris. 10, 11, 12 mai 2023

 

 À l’occasion du centenaire de sa mort, le 10 juin 1923

Hommage

à l’Académie française

organisé par l’Association internationale des Amis de P. Loti

Colloque international

organisé par l’Université de la Sorbonne-Nouvelle

& la Société de Géographie

Tables rondes

 

Réservations obligatoires sur les sites suivants

Pièce d’identité obligatoire à l’entrée (gratuite).

Pour l’Académie française, le 10 mai : ploti10mai2023@orange.fr

Pour la Sorbonne-Nouvelle, le 11 mai : lecarrelet-editions@orange.fr

Pour la Société de Géographie, le 12 mai : https://lotimonde.fr/fr/colloque

 

Comité d’organisation

Henri Scepi (professeur à l’Université de la Sorbonne-Nouvelle), Jean-Robert Pitte (président de la Société de Géographie, membre de l’Institut), Marie-Ange Gerbal (présidente de l’Association internationale des Amis de P. Loti), Gilles Luneau (président de l’association ‘‘Loti sur le globe du temps’’) et Alain Quella-Villéger, historien, biographe de P. Loti.

 

Hommage à l’Académie française

Auditorium de l’Institut de France, 3 rue Mazarine

mercredi 10 mai, 13h30-19h

 

Ouverture par Hélène Carrère d’Encausse, secrétaire perpétuel de l’Académie française

Dévoilement du timbre-poste « Pierre Loti 1850-1923 », par Philaposte

« Le retour de Loti », par Bruno Vercier, spécialiste de l’œuvre de Loti

« Pierre Loti qui ne lit jamais… L’histoire de sa réception à l’Académie française », par Alain Quella-Villéger (présentation du livre publié par les éditions Bleu Autour)

« Pierre Loti – Calmann-Lévy : une histoire commune », par Philippe Robinet, directeur général des éditions Calmann-Lévy

« Loti à l’ère du numérique », par Véronique Magri, professeure à l’Université Côte d’Azur/CNRS

« La cabine immobile : la chambre océanienne de Rochefort », par Claude Stefani, conservateur des musées de Rochefort

« Comparaison n’est pas raison », par Gérard Audinet, directeur des Maisons de Victor Hugo, Paris/Guernesey

« Ré-enchanter la maison de P. Loti à Rochefort : les coulisses du chantier de restauration », par Elsa Ricaud, architecte du Patrimoine, et Gilles Vignier, scénographe, tous deux en charge de la rénovation de la maison de Loti

« Entre deux mers, une amitié fraternelle : Pierre Loti et Jean Aicard », par Monique Broussais, présidente honoraire des Amis de Jean Aicard

« Loti parfumé », par Laurent-David Garnier, artiste-auteur-parfumeur

« Le marin et l’aviateur : réflexions sur P. Loti et G. D’Annunzio », par Maurizio Serra, de l’Académie française, élu au fauteuil n°13 qui fut occupé par Loti.

Colloque international

à l’Université de la Sorbonne-Nouvelle

Amphithéâtre Liard, 17 rue de la Sorbonne

jeudi 11 mai, 9h-12h30, 14h30-19h

MATIN

Accueil par Henri Scepi

(Univ. Sorbonne nouvelle, Centre de recherche sur les poétiques du XIXe s./CRP19)

Président de séance : Bruno Vercier

Eléonore Reverzy (Univ. Sorbonne-Nouvelle) : « Les ailleurs fantômes de Pierre Loti »

Marie Mossé  (Univ. Nancy) : « Pierre Loti et le mythe islandais »

Jean-Pierre Dumont : « Nietzsche et Loti. Et vice-versa »

Gaultier Roux (Shanghaï, Université Fudan) : « Cette éternelle nostalgie : la poétique lotienne de l’irréversible »

Hervé Duchêne (Univ. Dijon) : « Propos d’exil entre amis lointains. Pierre Loti en correspondance avec Blanche Lee Childe. »

APRÈS-MIDI

Président de séance : Alain Quella-Villéger

Jean-Louis Marçot (Hendaye) : « Une relecture de Ramuntcho, à partir des traductions du roman et de la pièce en castillan et en euskara »

Cécile Auzolle (Univ. Poitiers) : « Sur la musique de Gabriel Pierné pour l’adaptation théâtrale de Ramuntcho »

Seza Yilancioğlu (Univ. Galatasaray, Istanbul) : « Loti, épistolier »

Président de séance : Guy Dugas

Andrea Schellino (Univ. Rome) : « Sur les ‘‘proxénètes de la sensation du Divers’’ : Segalen contra Loti »

Caroline Ferraris-Besso (Univ. Gettysburg, É.-U.) : « De l’invitation au voyage aux illusions perdues : Loti à Tahiti »

Xavier Garnier (Univ. Sorbonne-Nouvelle) : « De la difficulté d’habiter en Afrique. Le Roman d’un Spahi sous emprise géographique »

Pierre Brunel (Sorbonne-Université, Académie des Sciences morales et politiques) : « Au Maroc : une symphonie en blanc majeur ? »

[suite du programme, page suivante]

 

 

**

à la Société de Géographie

Grand amphithéâtre, 184 Bd St-Germain

vendredi 12 mai, 10h-12h30, 14h30-18h

 

MATIN

Ouverture par François Bellec, vice-président de la Société de Géographie :

« Loti, Segalen, Cras, marins, voyageurs et grands témoins ».

Président de séance : Henri Scepi

Eri Ohashi (Univ. Nagasaki) : « Loti, de temple en temple, à Nagasaki »

Jean-François Guélain (Paris) : « Pierre Loti en Inde : quête d’exotisme ou de spiritualité ? »

Kanchana Mukhopadhyay (Univ. Calcutta) : « En Inde, d’Anquetil-Duperron à Loti »

Daniel Margueron (Tahiti) : « Lectures et représentations de Loti en Polynésie »

 

APRÈS-MIDI

« Loti, le Maghreb au-delà des clichés », table ronde animée par Alain Quella-Villéger, avec Guy Dugas (Univ. Montpellier), Claude Pérez (Univ. Aix-Marseille) et Samira Etouil (Univ. Meknès).

Gilles Luneau : conférence-projection « Sur les pas de Loti dans un monde globalisé ».

« Loti et l’Iran, un Orient singulier », table ronde animée par Timour Muhidine (INALCO), avec Patrick Ringgenberg (Univ. Lausanne/Téhéran), Nedim Gürsel (CNRS) et Lucie Azema (autrice).

Mot de clôture par Patrick Deville

 

 

 

 
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12 février 2023 7 12 /02 /février /2023 17:44

Le sourire

de France Bloch-Sérazin

 

Alain Quella-Villéger[1]

12 février 2023

 

Durant la Deuxième Guerre mondiale, France Bloch-Sérazin s’engagea très tôt dans la Résistance parisienne pour lutter contre le nazisme et l’Occupation. Arrêtée le 16 mai 1942, elle fut condamnée à mort par les Nazis et guillotinée à Hambourg, il y a 80 ans. Voilà les faits, bruts, et c’est ce funeste 12 février 1943 que nous commémorons aujourd’hui.

Pourtant, c’est une autre journée de février à laquelle je voudrais d’abord penser, celle qui vit la naissance de Françoise dite France, il y a cent-dix ans : le 21 février 1913 à Paris, sur les hauteurs de Montmartre.

 

C’était au 26 de la rue Norvins. La rue Norvins est facile à trouver, mais le n°26 n’existe plus ; il est devenu le n°2 de la place Marcel-Aymé parce que cet écrivain, à partir des années 60, habita l’immeuble où les parents Bloch avaient emménagé, quelques mois avant la naissance de France (pied à terre parallèle à leur propriété de La Mérigote, occupée depuis le printemps 1911[2]). Or l’écrivain Marcel Aymé situe rue Norvins une partie de sa célèbre nouvelle Le Passe-Muraille, parue en 1941[3] au moment où France Bloch-Sérazin jouait elle-même les passe-murailles. Le héros est d’ailleurs un temps incarcéré à la prison de la Santé dont, malheureusement, France et son mari connaîtront les cellules.

France Bloch-Sérazin, avec son allure discrète, son mètre 59, son pas rapide, veste de daim et son bonnet de laine, a été à plus d’un titre un personnage passe-muraille. Mais, si le héros du récit de Marcel-Aymé finit prisonnier d’un mur, France, elle, au contraire est restée libre jusqu’au bout, jusqu’à ses derniers instants.

 

En mars 1935, elle inscrit pour elle-même sur un cahier cette injonction : « France, rappelle-toi ceci. Que tu es un être libre ». Agir et combattre pour elle, c’est faire fi de tous les murs, de tous les obstacles, c’est résister. C’est imprimer des tracts dans une cave, fabriquer des explosifs dans un labo clandestin, aider à l’évasion de son mari emprisonné ; c’est se mettre en danger en participant à certaines opérations de sabotage[4], c’est donner priorité au sort collectif d’une nation ; c’est, dit-elle, « se sortir de soi-même et oublier soi dans l’action ».

Ce n’est donc pas seulement son sort bouleversant que je souhaite évoquer aujourd’hui – et comment ne pas y penser –, mais, vous l’avez compris, la femme libre qui fut d’abord, rue Norvins et ici à la Mérigote, une jeune fille puis une femme épanouie, gaie, d’une grande curiosité, souriant à la vie. Excellente scientifique, elle aime le latin, apprend l’allemand, lit énormément ; elle aime les chats, le sport, elle dessine, joue du piano ; elle est moderne. Bref, voilà une jeune fille ordinaire dans un milieu qui l’est certes moins et à l’aube d’un destin qui ne le sera pas du tout. Trente ans de vie seulement, mais une existence passionnée, enthousiaste et une confiance solide qui consiste, pour reprendre une phrase de son père Jean-Richard Bloch, à « s’avancer sur le vide en jurant qu’il y a un pont ». Ce qui pourrait être une parfaite définition de l’espoir.

 

Avant de perdre la vie, France écrit des lettres qui nous sont parvenues. À ses amis, elle confie :

 

Vous savez que j’ai eu une vie heureuse, une vie dont je n’ai rien, rien à regretter. J’ai eu des amis et un amour, vous savez, et je meurs pour ma foi [dans le communisme].

 

À son mari, elle confesse :

 

Je meurs pour ce pourquoi nous avons lutté, j'ai lutté ; tu sais comme moi que je n’aurais pas pu agir autrement que je n’ai agi : on ne se change pas.

 

Son mari Frédo qui, lui, mourra sous les tortures de la Gestapo le 15 juin 1944 à Saint-Étienne. Frédo qui, du camp de Voves le 21 août 1942, avait écrit à ses enfants Roland et Éliane :

 

C’est pour que vous viviez dans le bonheur, la joie et la liberté, que votre maman, que votre papa ont […] été victimes – comme tant d’autres, hélas ! – des traîtres, et des bourreaux de notre belle France. Mais courage, la victoire approche et la liberté illuminera bientôt l’Europe en attendant le Monde.

 

France est venue pour la dernière fois passer quelques jours à La Mérigote avec son fils Roland, fin mars-début avril 1942, quelques semaines avant son arrestation (le 16 mai suivant). Une partie de la famille y est alors. Quelques photos sont prises, les dernières de sa vie libre ; on y voit France assise dans l’herbe et souriante ou avec son bébé d’un an dans les bras. Sa sœur Marianne voit France pour la dernière fois : « Je me souviens avec une netteté parfaite de ma séparation d’avec France. C’était la fin de l’après-midi. Elle allait à la gare de Poitiers reprendre le train pour Paris. Elle s’en allait à pied, bien sûr, avec Roland dans sa poussette. »

Retenons d’elle cette dernière image de bonheur paisible.

 

Je crois plus au besoin de mémoire qu’au devoir de mémoire et ce que je souhaite garder et transmettre de France, c’est l’image d’une femme épanouie qui ressemblait, disent certains, à la comédienne Sarah Bernhardt, l’image d’une femme courageuse, volontaire, passe-muraille et riche de l’espoir qu’elle partageait avec Frédo d’un monde futur meilleur et libre, nourri de paix et d’équité.

Le contexte mondial actuel n’est pas de nature à nous donner facilement le sourire et l’espoir et, pourtant, c’est une raison de plus pour entendre à nouveau le message laissé par cette jeune femme qui n’eut jamais trente ans et pour se souvenir d’elle.

France Bloch-Sérazin recopia dans un de ses cahiers cette citation de de l’homme politique et écrivain britannique Benjamin Disraeli[5] : « La vie est trop courte pour être petite ».

Sa vie fut courte, mais aucunement petite…

 

[1] Auteur de France Bloch-Sérazin. Une femme en résistance (1913-1943), Des Femmes/Antoinette Fouque, 2019. Préface de Marie-José Chombart de Lauwe. Prix littéraire de la Résistance 2019.

[2] Acquise en août 1913.

[3] Dans la revue Lecture 40, le 15 août.

[4] Marcel Paul le rapporte.

[5] Dont son oncle André Maurois a écrit une biographie, en 1927.

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25 avril 2019 4 25 /04 /avril /2019 13:30

France Bloch-Sérazin.

Une femme en résistance

 

 

« C’est un beau livre que vous avez écrit, Alain Quella-Villéger, car vous avez réussi à faire ressortir toute l’humanité de France Bloch-Sérazin à travers ses écrits, les mots de ceux qui l'ont connue, ou encore dans le récit de ses actes, quand elle prépare l’évasion de son mari. Et, de ce fait, les qualités de cette femme exceptionnelle apparaissent avec force. Elles sont celles de tous ces résistants, hommes et femmes, le courage, la force mentale, la force morale, le dévouement aux autres, à la Nation, et l'esprit de sacrifice. Elles sont celles, plus intellectuelles, de France Bloch-Sérazin, femme engagée politiquement et scientifique reconnue. Elles sont celles d’une jeune fille juive, d’une épouse et d’une mère aimante. On quitte ce livre avec l’impression de l’avoir connue. »

Édouard Philippe, Premier Ministre, 4 novembre 2019

Discours lu lors de la remise du Prix littéraire de la Résistance décerné pour ce livre au Sénat, le 6 novembre, par le Comité d'action de la Résistance/Souvenir français, les membres du jury ayant manifesté « leur enthousiasme pour la qualité littéraire et les recherches de l’auteur sur une grande figure de la Résistance et sa famille ».

 

Revue de presse

 

« Une rebelle, un esprit libre […]. Un portrait d’une pasionaria émouvante, d’une France courageuse et patriotique. »

Virginie Girod, Lire, mars 2019

 

« France Bloch-Sérazin n’a pas plié. […] Sa courte vie montre combien elle eut à cœur de mettre ses actes en concordance avec cette sensibilité toute d’ardeur intellectuelle et d’intransigeance. […] le portrait touchant d’une jeune femme jamais résignée. »

André Loez, Le Monde des livres, 3 mai 2019

 

« L’historien A. Quella-Villéger reconstitue l’itinéraire de France Bloch-Sérazin, mettant en relief la participation active des femmes à la Résistance [...] morte pour la justice et la liberté. »

Robert Maggiori, Libération 6-7 avril 2019

 

« A. Quella-Villéger apporte une double compétence : celle de l’historien dont on admire la justesse des vues, l’ampleur de la documentation, le souci de la preuve ; celle du littéraire dont on éprouve à travers ces pages la sensibilité, un don d’empathie et l’art du récit. »

Guy Dugas, Europe, septembre-octobre 2019

 

« Une histoire simple, une histoire, que l’auteur sait nous faire partager dans un récit sensible, mais sans mièvrerie. […] Une œuvre de romancier aussi, car il sait nous captiver jusqu’à la dernière page. »

Marie-Pierre Beaudry, Le Picton, mars-avril 2019

 

« La précision et la retenue historiques de l’auteur, éloigné de la rhétorique ‘‘peuple de l’ombre’’ aujourd’hui peu audible, réussissent ici pleinement à suggérer la puissance de détermination de ceux qui s’engagèrent et la normalité héroïque de leur existence. […] Le livre, en faisant preuve d’une parfaite connaissance de la période et en utilisant avec pertinence photographies, témoignages, lettres, fiches de filatures et d’interrogatoires, apporte une perspective nouvelle à la question de la résistance communiste et à celle de l’engagement partisan. »

Claude Grimal, Médiapart, 16 mars 2019 ; En attendant Nadeau, 24 mars 2019

 

« Ce petit bout de femme d’1,57 m était un esprit libre et une femme de cœur qui paya de sa vie ses engagements. […] une biographie très complète. »

Jean-Michel Gouin, La Nouvelle République, Poitiers, 8 mars 2019

 

« Un hommage émouvant à une femme hors du commun. »

Victor Battaggion, Historia, avril 2019

 

« On lit avec beaucoup d'émotion et d'intérêt France Bloch-Sérazin - Une femme en résistance. On y découvre une femme de combat, une passionnée, pleine de courage de générosité et de hautes valeurs humaines. »

Frédéric Mounier, RCF, « Les racines du présent », 6, 10 et 11 mai 2019

 

« Livre bouleversant, tout particulièrement dans sa seconde partie, celle qui comprend et suit l'arrestation. […] Quelle belle figure que cette France Bloch-Sérazin et qui méritait tellement une biographie ! Je reste émue et comme terriblement intimidée devant cette ‘‘Antigone’’ qui accomplit l’exceptionnel avec tant de détermination et de simplicité. »

Michèle Maitron-Jodogne, 17 mai 2019

 

« Un livre très fort. A. Quella-Villéger a pu consulter des archives, des lettres dont celles de France et Frédo, conservées par leur fils Roland, des témoignages des compagnons de lutte, de la famille, des journaux, des associations, des sites, les archives de la police. Le livre est remarquablement bien documenté. L’auteur combat les idées reçues, trace un portrait rigoureux et poignant. Il dépeint une femme libre, amoureuse, mère de famille, courageuse, une scientifique qui se met au service de la Résistance sans compter. »

Nicole Mullier, Cercle d’étude de la Déportation et de la Shoah, mai 2019

 

« Faire la biographie de la fille de J.-Richard Bloch n’était pas chose aisée, et l’auteur propose un portrait intéressant de cette personnalité peu commune. »

Sylvain Boulouque, L’Ours, septembre-octobre 2019

 

« Le livre d’A. Quella-Villéger rend justice à France Bloch-Sérazin et montre qu’elle fut indiscutablement une figure majeure de la Résistance. »

            François Eychart, Les Lettres françaises, octobre 2019

 

« Cet ouvrage est d’une grande richesse de détails, appuyé sur des archives variées […]. Les sources citées rendent vivant le portrait de cette femme engagée »

            20&21, revue d’histoire contemporaine de Sciences politiques, 4e trim 2019.

 

 

 

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