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12 février 2023 7 12 /02 /février /2023 17:44

Le sourire

de France Bloch-Sérazin

 

Alain Quella-Villéger[1]

12 février 2023

 

Durant la Deuxième Guerre mondiale, France Bloch-Sérazin s’engagea très tôt dans la Résistance parisienne pour lutter contre le nazisme et l’Occupation. Arrêtée le 16 mai 1942, elle fut condamnée à mort par les Nazis et guillotinée à Hambourg, il y a 80 ans. Voilà les faits, bruts, et c’est ce funeste 12 février 1943 que nous commémorons aujourd’hui.

Pourtant, c’est une autre journée de février à laquelle je voudrais d’abord penser, celle qui vit la naissance de Françoise dite France, il y a cent-dix ans : le 21 février 1913 à Paris, sur les hauteurs de Montmartre.

 

C’était au 26 de la rue Norvins. La rue Norvins est facile à trouver, mais le n°26 n’existe plus ; il est devenu le n°2 de la place Marcel-Aymé parce que cet écrivain, à partir des années 60, habita l’immeuble où les parents Bloch avaient emménagé, quelques mois avant la naissance de France (pied à terre parallèle à leur propriété de La Mérigote, occupée depuis le printemps 1911[2]). Or l’écrivain Marcel Aymé situe rue Norvins une partie de sa célèbre nouvelle Le Passe-Muraille, parue en 1941[3] au moment où France Bloch-Sérazin jouait elle-même les passe-murailles. Le héros est d’ailleurs un temps incarcéré à la prison de la Santé dont, malheureusement, France et son mari connaîtront les cellules.

France Bloch-Sérazin, avec son allure discrète, son mètre 59, son pas rapide, veste de daim et son bonnet de laine, a été à plus d’un titre un personnage passe-muraille. Mais, si le héros du récit de Marcel-Aymé finit prisonnier d’un mur, France, elle, au contraire est restée libre jusqu’au bout, jusqu’à ses derniers instants.

 

En mars 1935, elle inscrit pour elle-même sur un cahier cette injonction : « France, rappelle-toi ceci. Que tu es un être libre ». Agir et combattre pour elle, c’est faire fi de tous les murs, de tous les obstacles, c’est résister. C’est imprimer des tracts dans une cave, fabriquer des explosifs dans un labo clandestin, aider à l’évasion de son mari emprisonné ; c’est se mettre en danger en participant à certaines opérations de sabotage[4], c’est donner priorité au sort collectif d’une nation ; c’est, dit-elle, « se sortir de soi-même et oublier soi dans l’action ».

Ce n’est donc pas seulement son sort bouleversant que je souhaite évoquer aujourd’hui – et comment ne pas y penser –, mais, vous l’avez compris, la femme libre qui fut d’abord, rue Norvins et ici à la Mérigote, une jeune fille puis une femme épanouie, gaie, d’une grande curiosité, souriant à la vie. Excellente scientifique, elle aime le latin, apprend l’allemand, lit énormément ; elle aime les chats, le sport, elle dessine, joue du piano ; elle est moderne. Bref, voilà une jeune fille ordinaire dans un milieu qui l’est certes moins et à l’aube d’un destin qui ne le sera pas du tout. Trente ans de vie seulement, mais une existence passionnée, enthousiaste et une confiance solide qui consiste, pour reprendre une phrase de son père Jean-Richard Bloch, à « s’avancer sur le vide en jurant qu’il y a un pont ». Ce qui pourrait être une parfaite définition de l’espoir.

 

Avant de perdre la vie, France écrit des lettres qui nous sont parvenues. À ses amis, elle confie :

 

Vous savez que j’ai eu une vie heureuse, une vie dont je n’ai rien, rien à regretter. J’ai eu des amis et un amour, vous savez, et je meurs pour ma foi [dans le communisme].

 

À son mari, elle confesse :

 

Je meurs pour ce pourquoi nous avons lutté, j'ai lutté ; tu sais comme moi que je n’aurais pas pu agir autrement que je n’ai agi : on ne se change pas.

 

Son mari Frédo qui, lui, mourra sous les tortures de la Gestapo le 15 juin 1944 à Saint-Étienne. Frédo qui, du camp de Voves le 21 août 1942, avait écrit à ses enfants Roland et Éliane :

 

C’est pour que vous viviez dans le bonheur, la joie et la liberté, que votre maman, que votre papa ont […] été victimes – comme tant d’autres, hélas ! – des traîtres, et des bourreaux de notre belle France. Mais courage, la victoire approche et la liberté illuminera bientôt l’Europe en attendant le Monde.

 

France est venue pour la dernière fois passer quelques jours à La Mérigote avec son fils Roland, fin mars-début avril 1942, quelques semaines avant son arrestation (le 16 mai suivant). Une partie de la famille y est alors. Quelques photos sont prises, les dernières de sa vie libre ; on y voit France assise dans l’herbe et souriante ou avec son bébé d’un an dans les bras. Sa sœur Marianne voit France pour la dernière fois : « Je me souviens avec une netteté parfaite de ma séparation d’avec France. C’était la fin de l’après-midi. Elle allait à la gare de Poitiers reprendre le train pour Paris. Elle s’en allait à pied, bien sûr, avec Roland dans sa poussette. »

Retenons d’elle cette dernière image de bonheur paisible.

 

Je crois plus au besoin de mémoire qu’au devoir de mémoire et ce que je souhaite garder et transmettre de France, c’est l’image d’une femme épanouie qui ressemblait, disent certains, à la comédienne Sarah Bernhardt, l’image d’une femme courageuse, volontaire, passe-muraille et riche de l’espoir qu’elle partageait avec Frédo d’un monde futur meilleur et libre, nourri de paix et d’équité.

Le contexte mondial actuel n’est pas de nature à nous donner facilement le sourire et l’espoir et, pourtant, c’est une raison de plus pour entendre à nouveau le message laissé par cette jeune femme qui n’eut jamais trente ans et pour se souvenir d’elle.

France Bloch-Sérazin recopia dans un de ses cahiers cette citation de de l’homme politique et écrivain britannique Benjamin Disraeli[5] : « La vie est trop courte pour être petite ».

Sa vie fut courte, mais aucunement petite…

 

[1] Auteur de France Bloch-Sérazin. Une femme en résistance (1913-1943), Des Femmes/Antoinette Fouque, 2019. Préface de Marie-José Chombart de Lauwe. Prix littéraire de la Résistance 2019.

[2] Acquise en août 1913.

[3] Dans la revue Lecture 40, le 15 août.

[4] Marcel Paul le rapporte.

[5] Dont son oncle André Maurois a écrit une biographie, en 1927.

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