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2 juillet 2023 7 02 /07 /juillet /2023 16:42

Discours

devant le monument Pierre Loti,

Rochefort, 10 juin 2023

 

Alain Quella-Villéger

 

Merci de m’offrir ce moment de parole, en ce jour et en ce lieu si symboliques.

Derrière moi veille, bienveillante, la statue de l’écrivain inaugurée le 25 juin 1950 lors du précédent centenaire : celui de sa naissance. Pierre Loti a été ici représenté par le statuaire Vinet en officier de Marine, mais nous célébrons plutôt l’écrivain, le grand voyageur, l’homme, l’esthète qui n’en fut pas moins un fort estimable homme de mer et, ce matin, très particulièrement nous venons saluer le Rochefortais.

Auprès de ses concitoyens, Loti a beaucoup suscité l’étonnement, l’agacement, l’incompréhension, la polémique parfois. Le marin, pour sa part, a été victime des jugements sévères ou jaloux de sa hiérarchie. L’écrivain fut souvent réduit à un régionalisme étriqué ou à un exotisme d’opérette, alors que son œuvre soutient la force de l’enracinement en même temps que la richesse de l’ouverture aux cultures différentes.

Loti fut pleinement solidaire de son temps, pour le meilleur et parfois pour le plus détestable. On lui a légitimement reproché d’avoir cédé à des propos peu amènes envers telle ou telle population et, pour défendre les Turcs ou la France de 14-18, de s’être laissé aller à des jugements outranciers. Certes. Pierre Loti ne fut pas un saint et c’est aussi pourquoi il nous interroge encore !

 S’il n’est pas « moderne » (mais que veut dire ce mot ?), il est notre contemporain avec ses faiblesses, ses forces, ses grandeurs. Ses inquiétudes sont souvent les nôtres. Il pourfend le tourisme de masse, la spéculation immobilière, se montre soucieux du patrimoine naturel à préserver, n’aime pas la chasse et surtout pas la guerre. Il fait preuve d’empathie sociale, aussi : il se préoccupe aussi bien des veuves de pêcheurs paimpolais que du sort des ouvriers dans les usines – ne défend-il avec acharnement l’arsenal à Rochefort ? – sans oublier son plaidoyer des Désenchantées en faveur des femmes musulmanes.

Et puis, nous reste ce personnage qui se donne une vie de roman à la Corto Maltese, ce qui n’est pas sans résonner avec les multiplications d’identités d’un Fernando Pessoa, l’écrivain portugais qui écrivit :

 

« Nous avons tous deux vies :

La vraie, qui est celle que nous avons rêvée dans notre enfance ;

Et celle que nous continuons à rêver, adultes, sur un fond de brouillard ;

La fausse, qui est celle que nous vivons dans le commerce des autres,

Celle qui est pratique et utile,

Celle où nous finissons dans un cercueil. »[1]

 

Entre la vraie et la fausse, celle de Loti n’a pas manqué de scénarios parallèles et alternatifs, d’itinéraires buissonniers, de rémanentes nostalgies, de rêves toujours exacerbés, d’audaces aussi. Et sa vie ne finit pas dans un cercueil : Julien Viaud est mort, certes, mais point Pierre Loti ! Pierre Loti, « ce phénomène », s’exclamait Ernest Renan !…

 

Pour clore ce petit hommage, peut-être devrais-je tout simplement détourner le refrain d’une chanson de variété en affirmant :

On a tous quelque chose en nous… de Pierre Loti !

 

 

Inauguration Maison de Marie Bon,

1er juillet 2023

 

Alain Quella-Villéger

 

2023 commémore le centenaire de la mort de Pierre Loti et il me plaît de noter que Saint-Porchaire, y participant à sa façon, ajoute aujourd’hui son nom à Rochefort, Paimpol, Hendaye, Paris ou Istanbul – beau compagnonnage

À sa façon, je ne veux surtout pas dire modeste car le lieu de mémoire que nous inaugurons aujourd’hui n’est en rien inférieur à tel colloque parisien ambitieux ou exposition prestigieuse puisqu’il s’inscrit, lui, dans la durée. Premier grand mérite ! À sa façon, je veux dire surtout qu’en évoquant une séquence déterminante de la vie adolescente du futur Pierre Loti, nous ressuscitons en quelque sorte, ici, une femme. Immense mérite ! De 1865 à 1878, Marie Viaud résida en effet à Saint-Porchaire avec son mari percepteur, Armand Bon.

Si, dans le cadre de ce centenaire, j’ai eu à cœur de publier une biographie de Gustave Viaud, le grand frère disparu en mer quand Loti avait quinze ans, je n’ai pas eu moins à cœur de participer, avec la rigoureuse et chaleureuse complicité de Véronique Bergonzoni et d’Isabelle Fourcade, à la volonté municipale de faire revivre cette maison. Pas seulement pour Pierre Loti, mais pour une peintre attachante !

Si Gustave demeura le grand absent pour Loti, Marie à bien des égards fut une grande oubliée. L’écrivain avait pourtant montré le chemin, tant le salon rouge de sa maison de Rochefort offrit en quelque sorte à sa sœur sa première exposition permanente. Il nous faut donc revisiter pleinement le parcours de Marie à la fois comme sœur (et seconde mère de Loti, âgée de vingt ans de plus que lui), épouse, mère, femme de caractère, de foi et de conviction, mais il importe plus que jamais de rendre justice à une artiste qui, comme tant d’autres, n’eut guère le bonheur de pouvoir laisser s’épanouir tout son talent. Ce n’est pas moi qui l’affirme, c’est elle qui le confesse à Julien en 1867. Si elle clame d’abord : « Je suis heureuse à mon chevalet et je n’en bouge que lorsque je ne puis faire autrement. » Bientôt, malheureusement, elle déchante : « Hélas, en fait d’art, je resterai ce que je suis, ce que je suis restée […]. Il me faudrait aller à Paris, voir, regarder, surprendre, étudier, et je ne peux rien de tout cela… » C’est en quelque sorte ce « rien » que nous sommes appelés à remplir et réévaluer ensemble.

Je terminerai d’ailleurs sur le nom que Loti donne à Saint-Porchaire dans ses deux premiers romans, Aziyadé et Le Mariage de Loti, et qui contient peut-être une injonction : Brightbury, censé être un village de la campagne anglaise dans le Yorkshire au pays des sœurs Brontë (qui eurent d’ailleurs un frère peintre ; est-ce une clef ?). Rien certes à Saint-Porchaire des Hauts de Hurlevent, mais mieux : il n’existe pas de Brightbury dans le Yorkshire ! Traduisons ce toponyme inventé par Loti (ou par sa sœur, qui parlait mieux l’anglais que lui ?). Bury : enterrer ; enfouir, ensevelir ; bright : ce qui est brillant, lumineux, intelligent, heureux : curieux face à face, ou combat, de la lumière contre la mort et contre l’anéantissement. Retenons donc la première syllabe et apportons à Marie Viaud l’éclairage qui la remet en lumière…

 

 

 

 

 

 

[1] Fernando Pessoa (Alvaro de Campos) : « Dactylographie”.

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